Bertrand Debuisser, Directeur du conseil en Performances Industrielles du Cabinet HIVE Consulting et alumni du Master MILES nous aide à décrypter cette approche et les bénéfices attendus pour l’entreprise.
Né au Japon pour accélérer la reconstruction d’après-guerre dans un contexte contraint en termes de ressources, le Lean Management vise à identifier les modalités optimales de performance d’une activité. Fondamentalement collaborative, la démarche s’appuie sur l’intelligence collective de ceux qui sont au cœur de l’activité et la connaissent donc le mieux.
Comment définissez-vous le Lean Management ?
Le Lean Management est une démarche qui cherche à augmenter la proportion de valeur ajoutée d’une activité donnée. Celle-ci est analysée par l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, au regard du niveau de performance attendue qu’ils se sont fixés. Prenons l’exemple d’une consultation médicale en milieu hospitalier : pour le patient ou le personnel soignant, la valeur principale est d’obtenir une réponse du médecin sur son questionnement de santé. L’atteinte de cet objectif est souvent précédée de plusieurs étapes qui peuvent engendrer de la valeur (imagerie médicale, tests physiologique, télépaiement…), ou à l’inverse des gaspillages (temps d’attente, démarches administratives excessives ou en doublon, difficulté à s’orienter dans l’hôpital…).
La vocation du Lean Management est donc l’efficience globale des opérations et de l’organisation. Elle est obtenue en maximisant la part de valeur ajoutée réelle d’une activité en rendant plus courtes les étapes incontournables mais sans valeur intrinsèque (dans notre exemple, il s’agit des étapes administratives) et de supprimer les gaspillages (attente, erreurs ou choix inappropriés, déplacements ou transports inutiles, stocks abusifs…).
L’offre d’accompagnement semble pléthorique dans le domaine du Lean, comment s’y retrouver pour faire son choix ?
Le Lean Management s’appuie sur un système de certifications non régulé et donc propre à l’organisme qui les délivre, nécessitant donc une attention particulière dans le choix de la structure et des modalités de certification. La dimension pratique de la certification est essentielle. Un minimum d’expérimentation opérationnelle est nécessaire pour être ensuite capable de mobiliser les connaissances théoriques acquises et surtout de les intégrer au mieux à la réalité toujours spécifique d’une entreprise. C’est particulièrement vrai pour l’appropriation durable des solutions et plus spécifiquement ce qui concerne les aspects humains. L’acuité et la globalité d’une telle approche ne peut s’acquérir qu’au contact du terrain : 80% de ce que j’ai appris en théorie, je l’ai réappris sur le terrain ! La valeur de la certification obtenue dépend donc fortement du contenu pédagogique et l’enseignement, et de sa mise en adéquation d’un monde qui évolue (défis sociaux, digitalisation…). A mon avis, ce sont des éléments cruciaux à prendre en compte lors d’un choix de formation car la qualité réelle et l’apport actionnable d’une certification (green belt ou black belt) est extrêmement variable d’un organisme à l’autre.
Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’Excellence Opérationnelle ou de Démarches de Performance, le LEAN s’étant hybridé avec d’autres méthodologies : Six Sigma, Agilité, Théorie des Contraintes…Derrière les variantes terminologiques, les principes fondamentaux restent les mêmes. L’idée est malheureusement aussi de se distancier de l’utilisation dévoyée qui a été faite du Lean, à des fins de profits court-termistes (réduction de coûts et de masse salariale par exemple).
Il est absolument nécessaire de constater qu’une démarche Lean qui n’intègrerait pas avec sincérité le facteur social ou humain, ne peut jamais aboutir à une appropriation collective solide et donc des résultats durables. Plus encore, ce choix engendre systématiquement un mauvais calcul financier si l’on analyse le rapport gains immédiats et éphémères versus coûts engendrés dans la durée. La puissance du Lean réside avant tout dans une acceptation collective de ce qui a de la valeur puis dans une pratique cohérente quotidienne qui permet de consolider la confiance de chacun dans le fait que les efforts vont dans l’intérêt commun.
A l’heure où les enjeux et obligations de RSE pèsent de plus en plus fort sur les entreprises, comment le Lean Management prend-il en compte ces dimensions ?
Le Lean Management est, par essence, participatif. L’humain est au centre de la démarche. La valeur ajoutée est une co-construction de l’ensemble des acteurs qui concourent à l’élaboration d’un produit ou d’un service : le client bien-sûr puisque sa satisfaction est l’objectif final, mais aussi les dirigeants, les employés, les fournisseurs, les intermédiaires… Une démarche de Lean Management, qui apporterait une valeur ajoutée, exclusivement centrée sur des aspects financiers ou économiques ne parviendrait pas à des objectifs d’optimisation globale et pérenne, de surcroit avec sans résultats profitables pour tous. Ces bénéfices ne peuvent être atteint qu’en intégrant les dimensions de développement durable et responsable : social, économique et environnemental. Il y a encore très peu d’acteurs qui intègrent ces trois dimensions dans leurs certifications, alors que c’est un enjeu sociétal majeur. Les générations actuelles, qui sont les nouveaux décideurs ou législateurs, ont une conscience affirmée des enjeux climatiques, de la raréfaction des ressources et plus encore du besoin de donner du sens à leur implication professionnelle.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Dans une démarche Lean, on utilise un outil pour cartographier les flux d’une chaine de valeur : le VSM (pour Value Stream Mapping). L’outil n’est pas nouveau, mais ce qui l’est, c’est d’y intégrer le gaspillage humain/social et environnemental. Cela permet par exemple d’identifier des ressources matérielles inadéquates qui contribuent à augmenter les émissions de CO2, d’en quantifier financièrement le dommage pour la société mais aussi pour l’entreprise, et de réorienter son activité vers de nouveaux procédés de fabrication. Cela permet aussi d’évaluer le gaspillage humain, son coût pour l’entreprise en termes de perte de motivation, en absentéisme, de turn-over. En intégrant ces valeurs et en raisonnant en coût total, le Lean management reste un puissant levier de changement pour les entreprises, mais aussi pour la société.
Pour conclure, quelles sont les conditions d’une démarche Lean réussie ?
Une démarche réussie est celle qui réalise une synthèse fidèle des attentes des clients et de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, et y répond optimalement. Les bénéfices qu’on peut en attendre sont vastes : Amélioration des performances économiques et financières de l’entreprise mais aussi satisfaction et fidélisation accrues des clients, pérennité et stabilité du modèle social, vitalisation de la créativité des ressources humaines de l’entreprise…
La détermination et l’exemplarité du management, et une démarche permanente de co-construction sont des facteurs de réussite essentiels. L’implication et la responsabilisation à tous les niveaux de l’entreprise suscitent un questionnement sain sur ses axes de progrès et une proactivité dans ses résolutions de problèmes. Une dynamique qui consolide les forces de l’entreprise et synchronise les satisfactions des hommes et des organisations.