Découvrez la parole d’expert de Philippe Lours, directeur des affaires internationales à IMT Mines Albi et créateur du Master Aerospace Materials Design, Manufacturing & Innovation Management (AeroMat-Innovation), et Étienne Copin, responsable adjoint du Master AeroMat-Innovation.
Pouvez-nous nous citer certaines des dernières innovations en génie des matériaux aéronautiques ?
Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, l'objectif de réduction des émissions aéronautiques et de lutte contre le changement climatique accélère aujourd'hui l'innovation incrémentale et disruptive partout dans le monde au sein des entreprises technologiques et des laboratoires de recherche.
Nous pouvons citer par exemple les avions à propulsion « verte », les matériaux avancés, en particulier les composites, la robotique intelligente ou encore l'automatisation, l'impression 3D et la surveillance structurale.
Aujourd'hui, l'accent est mis sur le développement de systèmes de surveillance des pièces en service, intégrés dans les matériaux, pour optimiser les contrôles de maintenance. Dans le cas des « matériaux intelligents », c'est le matériau lui-même qui réagit à son environnement, pouvant être ainsi sondé pour obtenir des informations précieuses. L'enjeu est de pouvoir fabriquer l'architecture requise.
Quels sont les avantages et les défis des matériaux composites ?
Les intérêts d’utiliser les composites, matériaux ayant des propriétés spécifiques généralement plus élevées que celles des métaux, sont nombreux. Ils peuvent être mis en œuvre sous forme complexe en une opération, réduisant ainsi les opérations d’assemblage. Ils ont également une résistance à l’impact, une stabilité thermique et une tolérance aux dommages élevées, et ils résistent mieux à la fatigue et à la corrosion que les métaux. Avec les composites, nous pouvons réduire à la fois le coût et la masse des avions.
Cependant, nous devons améliorer le recyclage des matériaux composites, mais également les propriétés d'amortissement des vibrations afin d'assurer un meilleur confort des passagers dans les avions.
Un autre défi pour les matériaux composites est celui de l’utilisation plus étendue des matrices thermoplastiques à la place des thermodurcissables. Cela pourrait être intéressant en termes de recyclabilité car un thermoplastique peut être refondu ce qui permet donc de récupérer plus facilement les renforts comme les fibres de carbone.
Également, un enjeu important sera de fonctionnaliser les matériaux composites en intégrant en leur sein des capteurs « intelligents ».
Une autre façon d'accroitre l'utilisation des composites passe par le développement de matériaux auto-cicatrisants.
Enfin, les composites à matrice céramique apparaissent aujourd’hui comme des candidats intéressants pour les applications à haute température car ils ont une faible densité, une dureté élevée et une résistance thermique et chimique élevée.
Les matériaux constitutifs tels que le graphène et les nanotubes de carbone peuvent également être utilisés pour améliorer les propriétés électriques ainsi que la résistance à la rupture et à l'endommagement des composites.
Aujourd'hui, plus de 50% des avions modernes sont constitués de matériaux composites à matrice organique. Où et de quelle manière les matériaux composites seront-ils utilisés dans les avions du futur ?
Initialement, les composites ont été utilisés pour les structures secondaires qui n'ont pas à supporter des charges élevées, ce qui a permis de réduire à la fois la masse et le coût des avions. Aujourd'hui, les structures primaires sont également constituées de composites, dans ce cas essentiellement pour des raisons d'allègement. La majeure partie des « peaux » d’avions peut être fabriquée avec des matériaux composites haute performance. De nombreuses pièces des intérieurs « cabine » sont également réalisés en composites, ainsi que certaines grandes pièces du fuselage, de la soufflante etc. Aujourd'hui, les limitations à un usage plus généralisé des composites pour des composants critiques sont liées à leur résistance en température et leur résistance mécanique. En effet, constitués de polymères, ils ne peuvent pas travailler à des températures élevées et dans certaines pièces critiques, une tenue mécanique, une ductilité (la capacité du matériau à se déformer plastiquement sans se rompre) et une résistance à la rupture très élevées sont nécessaires.
Quels sont les autres nouveaux matériaux prometteurs ?
Les alliages et les revêtements des systèmes de propulsion sont aussi l’objet de recherches avancées afin de pouvoir augmenter les températures d'entrée turbine. L'optimisation des matériaux du moteur, conduisant à une augmentation des rendements moteur, se traduit par des économies de carburant et une réduction des émissions. Cependant, les systèmes actuels sont limités par les tenues en température des matériaux. Il est donc nécessaire d'étudier et de développer de nouvelles nuances d’alliages, des alliages intermétalliques et des systèmes de revêtement avancés, et également de nouveaux composites à matrice céramique.
Qu'est-ce que l’allègement des structures dans la conception aérospatiale ?
L’allègement est la réduction de la masse des avions résultant de l'utilisation de matériaux à faible masse volumique tels que les composites, les nouveaux alliages d'aluminium-cuivre au lithium et, éventuellement, à l'avenir, les alliages de magnésium. Ceci est fondamental puisque l'utilisation de matériaux plus légers permet de réduire la consommation de carburant car moins d'énergie est nécessaire pour compenser la gravité. Choisir le bon matériau est une façon de réduire le poids. Une autre façon consiste à optimiser les conceptions existantes pour réduire la quantité de matériaux nécessaire, permettant d’obtenir de nouvelles structures, jusqu’à 30% plus légères par exemple, qui supportent avec succès les mêmes charges. C'est là que de nouveaux procédés tels que la fabrication additive sont utiles car ils permettent de produire des géométries complexes de forme optimisée et un recours plus parcimonieux aux matériaux, qui ne pourraient pas être fabriqués, ou en tout cas pas de manière rentable, avec des procédés standards. Dans certains cas, les structures produites par fabrication additive peuvent être encore plus résistantes que celles fabriquées de manière conventionnelle.
Que peut apporter la fabrication additive à l'industrie aéronautique ?
En fabrication additive, les pièces sont imprimées directement à partir d'un fichier 3D ce qui ne nécessite pas de recours à de l’outillage. Ceci offre une grande liberté dans la conception des pièces. Comme cela est mentionné précédemment, la fabrication additive permet de produire des pièces légères de conception optimisée et pourrait à l’avenir apporter en ce sens beaucoup à l'industrie aérospatiale : prototypage rapide, personnalisation à la demande, approche fonctionnelle optimisée en phase de conception, réduction des délais, augmentation du ratio buy-to-fly et diminution des risques dans la chaine logistique pour la production, réparations avancées, pièces détachées à la demande / sur site pour la maintenance.